UN PLATANE RESISTANT AU CHANCRE COLORE
(Ceratocystis fimbriata f. sp.platani)
Par André Vigouroux, directeur de recherche à l ‘INRA (Montfavet-Avignon-Montpellier)

Dr André Vigouroux ,travaux de selection Platanus Platanor ® ‘vallis clausa’

Introduit, dès l’Antiquité, du Moyen-Orient à ROME, le platane (il s’agissait de l’espèce orientale PLATANUS ORIENTALIS) n’a été exporté vers la France et la Grande-Bretagne qu’à la Renaissance. S’il est difficile actuellement de trouver des représentants de ces arbres en France, il semble qu’ils aient été mieux conservés en Grande-Bretagne, au moins dans certains arboretums. Peu après, vers 1620, le platane américain (P. OCCIDENTALIS) a été introduit en Grande-Bretagne par le botaniste Tradescant et les deux espèces ont eu l’opportunité de s’hybrider. Peut-être le phénomène a-t-il eu lieu aussi en Espagne. Toujours est-il que pendant deux siècles, espèces pures et hybrides divers ont été cultivés au moins en Grande Bretagne, à une échelle assez limitée. De ce pays et de 1752 à 1785, BUFFON, pour le compte de LOUIS XV, introduisit en France un petit assortiment de platanes, parents et hybrides, encore visibles actuellement dans quelques jardins prestigieux, en particulier le jardin des Plantes à Paris. De là, d’autres ont été plantés en province dans divers parcs du 18° siècle.

Mais, dès le début du 19° siècle, les représentants de l’espèce américaine (P. occidentalis) ont été complètement décimés par l’anthracnose, maladie à laquelle ils sont extrêmement sensibles (elle n’existait pas dans leur pays d’origine). Par la suite, progressivement, l’espèce orientale (P. orientalis), peut-être pas très bien acclimatée non plus, a aussi vu ses effectifs décroître au point qu’il en reste très peu actuellement (attention aux confusions).

Comme souvent, ne sont demeurés que quelques types d’hybrides plus rustiques qui se sont recroisés entre eux et ont abondamment proliféré, constituant ainsi, avec les encouragements entre autres de NAPOLEON III, les populations de notre platane commun. En fait, dès après la révolution de 1789, des villes petites ou grandes ont commencé à planter du platane dans le cadre d’un mouvement de remaniement urbain qui s’est intensifié dans la deuxième moitié du 19° siècle. Baptisé globalement et pendant longtemps P. acerfolia, ce platane commun a ensuite été nommé hybrida ou hispanica; toutes ces appellations n’étant d’ailleurs pas plus pertinentes les unes que les autres compte tenu de la pluralité d’origine.

Ce type d’arbre, doué de très bonnes capacités d’adaptation, a aussi montré un très bon comportement aux parasites courants, les dégâts importants provoqués par les champignons agents de pourritures (les polypores) étant essentiellement liés à un mode de conduite aberrant (coupes drastiques, mal effectuées…). Mais cette situation idyllique a depuis quelque temps radicalement changé. Le pronostic pour son avenir est même devenu des plus réservé après l’introduction, des U.S.A. en Europe, du champignon Ceratocystis fimbriata platani, agent de la maladie du chancre coloré. Transporté vers la fin de la deuxième guerre mondiale avec les caisses en bois de platane malade qui emballaient le matériel des troupes américaines, le parasite est d’abord resté latent pendant près de 15 ans. Mais ensuite, lentement puis plus rapidement, la maladie s’est disséminée dans toute l’Italie, le sud est de la France et la Suisse, faisant beaucoup de dégâts (35.000 sujets morts rien qu’en France fin 2003). 11 faut dire qu’aucun traitement capable de stopper une infection même à peine débutante n’a pu être trouvé et que même un bel arbre vigoureux est tué en quatre à cinq ans. En outre, les moyens de dissémination sont assez divers (outils d’élagage, véhicules, engins de terrassement) et souvent insidieux (eaux courantes de canaux, rivières, ruisseaux, jonctions de racines). Est donc vite apparue la nécessité d’une lutte génétique s’appuyant sur un type de platane résistant.

Nos hybrides, on l’a dit, plus ou moins recroisés entre eux au cours du temps, étaient trop récents et trop homogènes génétiquement pour receler une résistance.
Nous sommes donc retournés aux U.S.A., berceau de la maladie et du platane P.occidentalis, pour avoir des chances de trouver des sources de résistance naturelles exploitables. Ce qui a été effectivement le cas puisque quelques individus résistants avaient été mis en évidence quelques armées auparavant par le Docteur F.I. MC CRACKEN (USDA, Forest Service du Mississipi) qui les a très obligeamment mis à notre disposition.

Cependant, on l’a vu, les platanes américains ne peuvent subsister en Europe, rapidement tués par l’anthracnose (ils craignent aussi la sécheresse). Il a donc fallu récupérer la résistance par le biais de croisements, et logiquement on a choisi comme deuxième parent un individu de l’espèce orientale. On obtenait ainsi des arbres homologues de notre platane commun, le parent américain devant apporter cette fois dans la corbeille de mariage des facteurs de résistance au chancre coloré. Mais les modalités de l’héritabilité de la résistance n’étaient pas connues et il a fallu discerner, parmi les milliers de plants résultant des hybridations, le ou les quelques individus porteurs du caractère recherché. Les techniques modernes de biologie moléculaire aident, à priori, à conduire ce genre de travail mais doivent être précédées de longues études préliminaires.

C’est donc la voie classique assez longue mais plus sire qui a été adoptée, à savoir l’analyse des réactions de chaque individu hybride à l’inoculation du parasite.
Dans les faits, cela a nécessité la longue et laborieuse mise au point d’une méthode d’inoculation devant prendre en compte les caractéristiques particulières de l’infection par le Ceratocystis fimbriata f. sp. platani: développement très rapide dans la plante, progression privilégiée à la fois dans le système vasculaire et dans les rayons libéro-ligneux, production de toxines, réaction lente des tissus de platane infectés. Le système devait aussi être commode (des milliers de tests à faire en peu de temps) et reproductible. Nous nous sommes arrêtés sur l’utilisation d’une fine pointe de bois humectée par une suspension de spores calibrée du parasite et que l’on insère dans un trou de même dimension creusé préalablement dans la tige à tester.
Celle-ci doit d’ailleurs être âgée de deux ans révolus et atteindre au moins 20 mm de diamètre au point d’inoculation. Par sécurité, deux inoculations ont été réalisées successivement à un an d’intervalle, ce qui a abouti à un nombre très restreint de survivants, une vingtaine sur 1000 pour notre première vague d’hybrides.

Pour classer ces derniers individus et améliorer encore la sélection, chaque arbre a été rabattu à environ 1 m du sol pour lui faire émettre une touffe de rejets. Dix huit mois plus tard, 12 de ces rejets, choisis pour leur homogénéité, ont à nouveau reçu mie inoculation. La comparaison, pendant deux ans, de l’évolution de ces 12 inoculations par arbre a permis de différencier les aptitudes de chacun. En outre, parallèlement aux tiges, deux racines par arbre ont aussi reçu une inoculation. Au bout des deux ans, trois arbres ont conservé tous leurs rejets bien verts mais un seul d’entre eux a en même temps complètement contenu le parasite au niveau des racines. Au bout de ce délai et pour parachever l’analyse de la réaction de ces trois arbres, nous avons cherché à préciser le degré d’activité du parasite inoculé, dans les parties de tissus contaminés. En utilisant une méthode de détection très sensible appliquée à 24 prélèvements par arbre (2 par rejet contaminé), nous avons pu constater que, chez un arbre, le champignon avait disparu, complètement inactivé par les tissus de son hôte. Pour un autre, l’inactivation était encore très fréquente tandis que pour le troisième, elle était plus rare. A noter combien un tel résultat obtenu au bout de seulement deux ans souligne les possibilités d’une véritable guérison de notre premier sujet. Sur le plan pratique, cela implique que sur le terrain, toute contamination se traduira par une infection très limitée qui, rapidement, se confinera à quelques centimètres puis s’éliminera, sans risque pour l’environnement
Ainsi avons-nous abouti à une série de trois arbres montrant des degrés divers de résistance, l’un d’eux seulement étant vraiment digne d’être commercialisé.

On a nominé cette gamme résistante PLATANOR®, l’arbre retenu pour le premier clone mis en marché recevant lui le nom de VALLIS CLAUSA en hommage au Conseil Général du Vaucluse qui a beaucoup aidé à cette obtention. A l’I.N.R.A., c’est la collaboration étroite entre les laboratoires de pathologie de Montpellier et Montfavet-Avignon qui a permis la conduite et l’aboutissement de ce travail.
Soulignons que le travail de sélection continue à partir d’autres géniteurs américains résistants ou orientaux, le but étant d’éviter d’en rester à une homogénéité génétique toujours dangereuse au sein de nos futures plantations de platanes.

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